Table des matières
Les Royaumes oubliés, les Marches d'argent - Contes racontés autour du feu
Les Périls de la Route
- Tel que cela m'a été conté par Melenthros, garde pour une caravane
Melenthros avait un petit côté barde en lui. Du moins, c'est ce que nous pensions tous. Il racontait de nombreuses histoires autour du feu lorsqu'il voyageait. Cela semblait être sa façon de se détendre après une longue journée de voyage et l'installer pour la garde du soir. Après qu'il eut perdu son bras dans une échauffourée avec des trolls dans la Haute-forêt, il prit la route en direction de Lunargent. Il mentionna qu'il escomptait faire des périples plus courts dans cette nouvelle région. Ses compétences étaient telles que l'absence d'un bras ne le ralentissait pas beaucoup, mais il sentait clairement que le temps était venu de s'installer un peu plus durablement qu'il ne l'avait jusqu'alors fait. Il nous a raconté ce bref conte d'avertissement avant de nous quitter pour de bon.
La salle commune des Bras à Auvancombe était animée cette nuit, pensa Nimoeth. Mince et fort comme un vieux loup, le tavernier s'interrompit dans son labeur pour inspecter la pièce, au cas où des ennuis se profileraient. Nimoeth portait à sa ceinture un gourdin, en lieu et place de l'épée qu'il portait autrefois dans son ancienne vie d'aventurier, mais il restait habile en le maniant. Ces jours-là lui manquaient, bien sûr – ce matin encore, il avait vu partir une bande de flibustiers en route pour Lunargent.
La taverne semblait assez paisible ce soir-là. Une douzaine de citadins plus une douzaine de voyageurs bloqués par la tempête de neige murmuraient et riaient, criaient et piétinaient, comme si grâce à une bonne humeur forcée ils pouvaient tenir éloignés les vents glacials qui rugissaient dans le col. Par une nuit comme celle-ci, personne de censé n'oserait franchir la Passe de Lunargent, ce qui assurait à Nimoeth une salle remplie de clients à régaler, demandeurs de nourriture copieuse et de bonne boisson. À la fin de la nuit, il aurait eu une bonne part de leur or en échange. Le vent gémissait au dehors, glacial et violent, et Nimoeth se surprit à espérer que ces aventuriers avaient eu le bon sens de trouver précocement un abri. Peut-être que cela ne lui manquait pas tant, après tout.
La lourde porte en chêne de la taverne claqua et fît résonner de grands coups, puis s'ouvrit largement alors qu'un nain aux épaules épaisses se frayait un chemin à l'intérieur de la pièce. La neige et le froid s'engouffrèrent derrière sa lourde silhouette. De nombreux habitants de la salle jurèrent et se blottir pour se réchauffer. “Ferme la porte, imbécile !” grogna quelqu'un dans un coin. D'autres clients surenchérirent de quelques protestations. Nimoeth se redressa de la tireuse à bière pour lancer une imprécation amicale dont il a l'habitude, mais les mots moururent sur ses lèvres.
Le visage et les mains du nain étaient d'une blancheur cadavérique. Une couche de glace avait fait son nid dans sa barbe et une fine neige poudrait son manteau. Et il soutenait une autre voyageuse, une elfe qui pendouillait à son côté, les yeux clos, la glace masquant son visage. Le nain fit deux pas dans la salle principale, puis s'affala sur un banc, essayant de stabiliser son compagnon. “Du thé”, grommela-t-il d'une voix rauque. “Du cidre. Quelque chose de chaud, et maintenant. Et pour l'amour de Moradin, que quelqu'un aille chercher un prêtre ou un guérisseur.”
La pièce devint silencieuse. Nimoeth saisit Barik, le garçon de cuisine, par la manche et lui désigna la porte arrière. “Vite, mon garçon, va chercher frère Thamin !” Puis, alors que le garçon filait chercher de l'aide, l'aubergiste et ses serveurs se précipitèrent vers les deux voyageurs gelés avec des couvertures et des chopes fumantes. “Tiens, Sir Hurwald”, dit doucement l'aubergiste. “Nous prenons le relais pour veiller sur elle. Est-ce que d'autres membres de votre groupe sont encore dehors dans la tempête ?”.
Le nain leva les yeux, et l'on put voir un chagrin indescriptible s'emparer de visage gelé. “Tu ne les trouveras jamais. Une avalanche, peut-être à 8 kilomètres de la passe. La montagne les a emportés, mon ami.”
Une description de Felbarr
- Tel que cela m'a été conté par Llythnul, maître de caravane
Le maître de caravane Llythnul avait ceci à raconter à propos de notre destination lorsque j'ai eu l'honneur de travailler pour lui une fois. Je n'étais encore jamais allé à la citadelle de Felbarr à ce moment-là, et je n'étais pas non plus très impatient d'y parvenir après avoir entendu cela. Mais cette description est exacte.
Felbarr n'est pas le bout du monde, mais on peut la voir de là-bas. Nous devons faire une halte à Sundabar pour embaucher des gardes supplémentaires, et nous finissons toujours par avoir besoin d'au moins un tiers de plus que ce que nous avons pu trouver. Parfois, si nous avons de la chance, nous pouvons louer les services d'un groupe d'aventuriers qui se dirige dans la même direction. Il faut cependant te méfier avec ces groupes : il y a des bandes d'aventuriers qui se retourneront contre toi à mi-chemin de ta destination, ta dépouilleront de ton or et de tes chariots, et te laisseront attendre que les ours sanguinaires ne viennent arracher la chair de tes os.
Et une fois que tu aura enfin atteint la Citadelle, tu n'en vois que des tours de pierre menaçantes, des pics de fer massifs et des pièges et fosses plus mortels que tu ne peux t'imaginer. Et de la fumée - une abbondance de fumée nauséabonde et viciée, car les nains aèrent leurs fourneaux au niveau du sol. Et tout autour, aussi loin que ton regard peut porter, rien d'autre qu'une nature sauvage et bestiale. Mais, croie-le ou non, les habitants de Felbarr comptent parmi mes meilleurs clients.
Parlons des chiens et de l'expérience
- Tel que cela m'a été conté par Alena Strathford, garde pour une caravane
J'ai entendu cette histoire-ci alors que j'étais à la Chèvre dansante. Si une morale devait être tirée de ce contre, ça serait “Ne jamais sous-estimer son ennemi”, ou peut-être “Les chiens peuvent se révéler être de grands alliés”. La garde qui l'a racontée était une jolie créature, bien qu'elle de terribles manières avec ses doubles lames. Un garçon au visage duveteux qui s'était entiché d'elle (et qui était saoul) a essayé de lui porter un peu trop d'attention, et il s'est retrouvé au sol avec deux lames sous la gorge avant de pouvoir reprendre son souffle. Ce qui a rendu la scène encore meilleure, c'est le grand chien qui ensuite s'est assis sur sa poitrine, et est resté là pendant plus d'une heure, le maintenant au sol pendant qu'elle faisait la noce non loin. On dit d'Alena qu'elle a au moins un chien voire un loup autour d'elle à tout moment.
Les chiens ont probablement sauvé la vie d'Helver.
Il dormait profondément, enfoui sous une épaisse couverture de laine pour se protéger du froid mordant de la nuit printanière, lorsque Canine et Jarret déclenchèrent un vacarme à réveiller un nain ivre mort. Helver se réveilla dans l'instant, jeta sa couverture et bondit hors de son lit. Au dehors, les aboiements des chiens devinrent des raclements de gorge et des grognements, et Helver entendit alors les cris grossiers des orques – plusieurs d’entre eux.
Il se tourna vers la cheminée et saisit l'ancienne grande hache qui pendait au-dessus du manteau de celle-ci. Sa lame brillait malicieusement sous la lumière des braises ardentes. Helver soupesa l’arme d'un geste et se tourna vers la porte, mais juste à ce moment-là, toute la cabane trembla lorsqu’un orque massif défonça la porte d’entrée d’Helver. “Tu penses que je crains une hache qui est entre les mains d’un fermier ?” rugit l’orque.
“Je me fous de ce que tu penses”, répondit Helver. Il fronça les sourcils et attendit.
L'orque rugit une phrase de défi et se chargea en avant, brandissant une épée à l'aspect maléfique. D'un bond puissant, l'orque fendit en deux le crâne d'Helver. Mais Helver n'était pas là. Il se tourna sur le côté et pivota, faisant tourner sa grande hache qui fendit l'air dans un arc mortel qui traversa l'omoplate de l'orque et la fit jaillir de sa poitrine, jetant à bas le pillard sur le sol dallé de pierre. Puis le fermier arracha sa hache du premier orque et plongea pour éviter le coup sauvage d'un deuxième. Celui-ci reçu le fil de la hache juste sous son menton et vit sa tête presque intégralement arrachée.
Helver essuya le sang de son visage et leva les yeux vers un troisième orque qui était toujours dans l'encadrement de la porte. Celui-ci hésita, jetant un œil aux formes sanglantes étendues sur le sol de la maison. “C'est vrai, je les ai tués”, grogna Helver, enjambant le corps de sa deuxième victime. Il secoua sa hache en directement de l'orque dans l'embrasure de la porte. “J'ai tué des géants avec cette hache, gros balourd à tête de sanglier. Combien de temps penses-tu qu'il me faudra pour te tuer ?”
L'orque de désengagea de la porte, puis se retourna et courut - mais n'est pas allé loin. Canine et Jarret le mirent au sol au niveau la clôture en pierre. Helver s'assit sur le pas de sa porte, regardant au delà ses terres les montagnes éclairées par la lune. “Maudits orques”, marmonna-t-il, mais tout en ayant un sourire sombre qui s'esquissait sur les lèvres. Il était bon de savoir que les leçons qu'il avait apprises pendant ses dix années d'aventures lui restaient encore en mémoire.
Les dangers de partir en reconnaissance
- Tel que cela m'a été conté par Hiran, garde pour une caravane
Hiran dit que cette histoire est arrivé à Morvin, un ami et compatriote de sa sœur Amhira, alors qu'il partait en éclaireur sur les traces de quelques patrouilles orques. J'ignore si elle est vraie, mais elle a le mérite de rappeler à coup sûr de ne rien tenter tant qu'on a pas la certitude de ce à quoi on a affaire. Parfois cependant, la situation ne laisse bien sûr aucun répit, il est donc également possible d'en retirer cette enseignement : de mauvaises choses arrivent tout simplement, et l'on ne peut rien y faire de plus que faire de notre mieux. Personnellement, j'aurais au moins fait face à la mort les yeux ouverts et essayé de tirer un petit avantage de la situation si cela s'était avéré possible à un moment aussi terrible.
Une brume glaciale était tombée autour de Morvin alors qu'il rampait sur le sol de la forêt sous le couvert de la nuit. Le brouillard au froid mordant était descendu si rapidement qu'il crût d'abord qu'il s'agissait de l'œuvre d'un ensorceleur ou d'un magicien ennemi. Puis il réalisa que le brouillard gelé était d'origine naturelle. Ce genre de phénomène se produisait tout le temps dans les Marches d'Argent, particulièrement à cette époque de l'année. Quelques minutes auparavant, il progressait facilement, quoique lentement, grâce à la lumière tamisée des étoiles qui s'infiltrait entre les branches nues des arbres d'automne; mais à présent, il ne voyait presque plus rien.
Il songea à quel point la situation était alors hors-normes. C'était déjà de mauvaise augure qu'il y ait une patrouille d'orques quelque part devant lui, mais maintenant, il ne pourrait pas les voir même s'il leur trébuchait dessus ! Il s'accroupit sur ses talons derrière la sécurité toute relative d'un jeune bouleau pendant qu'il faisait le point sur sa situation. Un rapide coup d'œil à droite et à gauche confirma ce qu'il soupçonnait : il ne pouvait plus voir aucun de ses compagnons. Il grinça des dents de frustration. Sans Amhira et Punarthan, cette mission pour repérer les mouvements de la patrouille d'orques avait peu de chances de réussir.
Tout à coup, les narines de Morvin se remplirent d'une odeur nauséabonde et amère. Il grimaça silencieusement. Qu'en que soit la provenance, elle sentait comme une carcasse pourrie qui serait restée trop longtemps sous un soleil d'été brûlant. Et soudain il réalisa : les orques ! Rien d'autre ne pouvait sentir aussi mauvais. Il devait être juste au-dessus de la patrouille. Mais ses yeux ne pouvaient lui être d'aucun secours tant que la brume persistait.
Tendant l'oreille, il retint son souffle à l'affût d'un indice sur l'emplacement des orques. Puis il l'entendit : quelque chose se déplaçait sur sa gauche, peut-être à vingt ou trente pas. Se fiant au bruit, il y avait un, peut-être deux orques, qui se terraient dans la forêt. “Probablement séparés du reste de leur patrouille, songea Morvin, tout comme moi. Mais que fais-je maintenant ?”
La question se régla d'elle même dans sa tête alors que le bruit et l'odeur devinrent plus présents. Avec précaution, il desserra son épée de son fourreau et attrapa la dague de chasse dissimulée dans le haut de sa botte. L'odeur de viande pourrie devint plus forte encore, et il pouvait entendre distinctement la respiration profonde et haletante d'une des créatures alors qu'elle se débattait dans le bois.
Morvin serra fermement ses armes. Il allait sûrement voir les orques d'un instant à l'autre, et il n'aurait qu'une seule chance d'attaquer par surprise.
“Attends, se dit-il. Attends de les voir. Attends… Maintenant !”
Morvin se releva brusquement, ses armes écartant leurs fourreaux avec un tintement métallique quelque peu atténué par le brouillard. Il se jeta vers la créature qui surgit à travers la brume. Ses lames fendirent l'air d'un arc mortel et atteignirent leur cible, mais ce n'est que lorsque la créature hurla de surprise et de douleur que Morvin réalisa que quelque chose allait terriblement de travers.
Ce n'était pas un orque. Son esprit enregistra déjà ce fait. Bien trop gros… Et hirsute… Que-ce…
Le rôdeur ne vit pas jamais le coup qui le frappa au torse et l'envoya voler en arrière pour s'écraser contre le bouleau qui, un instant plus tôt encore, lui servait d'abri. Il le sentit cependant, et sentit les griffes déchirer son armure de cuir et déchiqueter sa chair comme si c'était du papier. L'arrière de son crâne s'entrechoqua avec l'arbre et sa vision se fît floue, tandis lorsque son épée tomba de ses mains qui s'engourdissaient rapidement. Alors qu'il glissait au sol, son esprit travaillait toujours à donner un sens à cette situation critique.
Un rugissement terrifiant et un autre relent de l'odeur putride déferlèrent sur Morvin alors qu'il essayait de se relever du sol gelé. Sa vision s'éclaircit, et il pouvait à présent distinguer la créature qui dominait à 4,20 mètres au-dessus de lui, son sang écarlate dégoulinant de l'entaille faite par l'épée, blessure qui ressemblait à une égratignure sur son flanc.
Morvin ferma les yeux tandis que l'ours sanguinaire se rua sur lui.